Jean-Gabriel Périot : Un cinéma d’archives

 

 

« Les archives sont plus puissantes que n’importe quelle reconstitution »
Terrence Davies dans une interview de Marcos Uzal pour les Cahiers du Cinéma n.807

Une archive est une trace : une trace du passé, sombre ou non, élégant ou non. Jean-Gabriel Périot réutilise celle-ci au service de la société et de la politique. Comment apprendre de ses erreurs sans que celles-ci soient évoquées  ? Une leçon se forme alors lorsque Périot assemble petit à petit ses archives. On réapprend de l’Histoire. De la même façon que La Bombe (1966) de Peter Watkins fait office de prévention puisque le cinéaste tente, à partir de données réelles, d’imaginer ce que pourrait donner une attaque nucléaire sur l’Angleterre, son pays natal. La Bombe a été interdite de diffusion par son producteur : la BBC, au vu du résultat choquant et finalement trop… réel. Il serait propice de qualifier Jean-Gabriel Périot – au-delà de cinéaste – de vrai créateur. À partir d’archives, il parvient à créer une œuvre instructive. Celle-ci rend compte et alerte d’une situation passée. Retour à Reims (2021) est un exemple parfait qui suit cette affirmation puisque le film présente une famille dont la mère enchaîne les ménages, regrettant de ne pas avoir fait d’études, et le père, à l’usine. La grand-mère, elle, a été tondue lors de la libération pour « écart sexuel » comme le dit la comédienne Adèle Haenel, en voix off, lisant le texte originel de Didier Eribon que Jean-Gabriel Périot a décidé d’adapter.

La question des femmes tondues est un sujet que le réalisateur décide d’évoquer dans son film Retour à Reims, mais il le développe surtout dans Eut-elle été criminelle… (2006) où l’image choque par sa froideur. Nous le voyons sur l’image accotée à ce texte : les hommes aux visages fermés et colériques entourent cette femme à la mine fatiguée, désolante et dramatique. Son cou et sa joie droite sont agrippés par la main poignante d’un homme qui fixe la caméra. Les hommes veulent montrer une pseudo-emprise sur la femme. Il est impossible de ne pas ressentir, de cette image, une certaine vengeance morale, inadmissible et illogique : des Français qui veulent lever un affront en se vengeant d’un ennemi qui n’est pas le leur et qui n’est finalement celui de personne. Le spectateur assiste alors à ce carnage qui ne fait que propager une haine intense qui le pénètre et le broie. Le passé peut tuer, et l’archive nous le prouve. Périot les utilise pour montrer une horreur passée et faire en sorte que nous comprenions ce qui est bon et mauvais ; mais je me rends de nouveau compte, en voyant ces images, que l’Humain a été, et demeure mauvais. Ces horreurs, la maltraitance des femmes n’est pas un cas passé. Le film n’est pas uniquement axé sur des évènements passés : il est toujours actuel, il dénonce des actes toujours perpétrés – peut être d’une autre façon, mais le fond reste le même.

Les luttes qu’évoquent le cinéma de Périot sont toujours modernes et le réalisateur apporte alors au spectateur un ou des questionnement(s) et réflexion(s) : discriminations, bombardements (actes de guerre plus généralement)… De la joie dans ce combat interroge et rend compte de la discrimination des “quartiers”, tout comme Eut-elle été criminelle… alerte sur une discrimination de la condition féminine – combat encore actuel, décidément. Finalement, la lutte principale de Périot réside dans celle qu’il livre contre l’amnésie ou le déni collectif. Que faire des personnes qui refusent à regarder la réalité en face  ? Que faire des personnes qui se refusent à voir le malheur des autres  ? Et enfin, que faire de ceux qui se refusent à penser aux horreurs vécues par le passé  ? Le cinéma est une réponse à ces questions, et l’archive l’accompagne. Jean-Gabriel Périot l’a compris.

Durant mes différents visionnages des films de Jean-Gabriel Périot, une question traînait dans ma tête : qu’est-ce que la cinéaste veut nous montrer  ? Certes, l’image représente les femmes tondues, les ouvriers… D’autres montrent une certaine allégresse – passant par les chants dans De la joie dans ce combat (2018) – et douceur : dans Lumières d’été (2016). Cependant, dans ce dernier film, la tristesse le deuil et la colère rattrapent les évènements lorsque le réalisateur rappelle le contexte historique de la ville où il tourne : Hiroshima, et lorsqu’il interroge des survivants de la bombe atomique. C’est par ce film que mon rapport au cinéaste se forme, cette capacité de filmer la joie dans un cadre si particulier, montrer par les images l’impossible reconstruction d’un peuple déchu par un évènement tragique et inhumain.
Le cinéma de Périot veut soulever des problèmes avec un certain recul qui nous expose la situation : le cinéaste ne prend pas parti. L’utilisation de l’image donne, certes, un aspect politique aux films, mais sans tomber dans un engagement militant ; Périot, comme dit dans une émission avec Samir Ardjoum (Microciné) : par son cinéma, il créé matière à penser.

Une solidarité semble tout de même se dégager de l’œuvre du cinéaste, rien qu’à voir De la joie dans ce combat où Périot et sa caméra se confondent dans les choristes de banlieue, qui tentent avec courage de changer une vision gangrenée d’une société envers les quartiers. Ce combat est le leur. Il passe par la solidarité et le chant qui prouve une force de caractère époustouflante.

 

Erwan Mas
Bulletin Ciné N°3
Mars 2024
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